L’euro numérique est une monnaie numérique émise uniquement par la banque centrale européenne. Celle-ci est actuellement à l’étude par les grandes instances qui siègent à Bruxelles et son lancement, s’il y a a lieu, sera effectif d’ici 2027.
Même s’il pourrait ressembler à ses cousines, les cryptomonnaies, telles que le Bitcoin, sa caractéristique principale est très différente: il n’est pas décentralisé et donc sous le contrôle total de la BCE. Ce qui amène à des doutes tout à fait légitimes sur le respect de la vie privée lors de son utilisation mais aussi sur le côté programmable de cette monnaie, qui d’un point de vue technique est très facile à mettre en place.
Une monnaie programmable implique qu’elle ne peut être utilisée que pour un certain type de biens ou de services, leur rationnement et aussi la limite dans le temps ou sur un territoire bien délimité, que ce soit un pays, une ville, un quartier, un magasin, etc. Cette caractéristique alimente beaucoup les discussions, les fantasmes, les inquiétudes et aussi des théories en tout genre.
Récemment, la commission qui s’occupe de l’euro numérique a déclaré que l’euro numérique ne serait pas programmable. En revanche, elle a évoqué une autre caractéristique particulièrement intéressante: les paiements conditionnels. J’ai traduis personnellement toute cette partie, que je vous livre ci-dessous.
Les paiements conditionnels
Dans le cadre du projet d’euro numérique, les paiements conditionnels sont des paiements qui se déclenchent automatiquement lorsque des conditions pré-définies sont réunies. Les paiements conditionnels sont une vaste catégorie qui comprennent des services optionnels et à valeur ajoutée.
Par exemple, cela pourrait être un paiement récurrent d’un payeur à un receveur à un jour déterminé du mois décidé par le payeur. Cela pourrait aussi être une autorisation de paiement, par exemple 100€ le premier jour de mois. Un autre exemple pourrait être des services de paiement par utilisation lorsqu’un paiement pour des biens et/ou des services est atteint en fonction de limites pré-definies par le payeur.
Les paiements conditionnels ne doivent pas être confondus avec de la monnaie programmable qui a été exclu au préalable dans les utilisations présentes et à venir. La monnaie programmable implique que l’euro numérique soit utilisé pour acheter uniquement des types de biens et/ou des services spécifiques ou les limiter dans le temps ou dans un endroit précis. La monnaie programmable est en contradiction avec les grands principes de l’euro numérique par le concile de gouvernance, car la convertibilité avec d’autres formes de monnaie ne pourrait pas être garantie. L’euro-système a donc conclu que l’euro numérique ne deviendrait jamais une monnaie programmable.
Les intermédiaires réglementés sont les mieux placés pour développer des services de paiements conditionnels. Ceux-ci sont sont une innovation en plein développement au sein des paiements numériques. Les intermédiaires réglementés sont bien au courant des dynamiques de marché et peuvent répondre aux besoins de leur clients. L’Euro système pourrait soutenir le développement et la fourniture de services de paiement conditionnels, mais les intermédiaires seraient toujours capables de développer leurs propres fonctionnalités de paiement conditionnel en euro numérique sans recours au soutien de l’Euro système.
L’Euro système a l’intention de soutenir l’octroi de paiements conditionnels par le marché de deux manières différentes. Premièrement, des normes pourraient être fournies via les directives de l’agenda de l’euro numérique, si le marché le demande. Des normes communes pourrait soutenir les intermédiaires dans le développement et l’exécution de leur propre logique d’entreprise, que ce soit dans leur propre systèmes d’information ou par le moyen de processeurs qu’ils possèdent collectivement.
Les parties prenantes du marché ont souligné la nécessité d’assurer l’interopérabilité entre les différentes solutions de paiement en incluant des normes communes dans les directives de l’euro numérique. Ces dernières devraient éviter d’être trop normatives, ce qui limiterait les capacités des participants à créer des solutions de paiement conditionnelles innovantes.
Deuxièmement, l’Euro système pourrait fournir des fonctionnalité de règlements supplémentaires dans l’infrastructure de l’euro numérique, notamment une fonctionnalité « réservation de fonds », qui serait nécessaire pour la fourniture en toute sécurité de certains services de paiement conditionnel aux utilisateurs finaux.
Cette fonctionnalité de « réservation de fonds », dans l’infrastructure de règlement est un dispositif permettant l’utilisation de plusieurs paiements conditionnels comme le paiement en échange d’une livraison et le paiement pour utilisation.
Les contrats intelligents au secours de l’euro numérique
Pour résumer ce rapport, il est question ici de smart contract, de contrats intelligents tels que l’on peut les voir sur les blockchains Ethereum, BNB, etc. Le terme employé, paiement conditionnel n’est pas très heureux, surtout lorsque l’on souhaite rassurer des futurs usagers clients. En matières de contrats intelligents, on voit souvent l’expression de paiement à déclenchement. (Trigger)
Le contrat intelligent exécutent un programme informatique irrévocable et qui garanti donc l’exécution d’un contrat avec des caractéristiques pré-définies. L’avantage est donc qu’il sécurise irrémédiablement l’opération entre les deux parties et l’automatise. Vous éliminez aussi un grand nombre d’intermédiaires qui sont affiliés au service en lui même. En conséquence, c’est la mort programmée de tout un pan de la bureaucratie financière, celle là même qui demande un nombre considérable de papiers, de vérifications, de signatures, etc. Il n’est pas certain que cela aille dans le sens des institutions aussi réglementées que celle qui régentent l’activité financière.
L’autre difficulté est la transcription du contrat en lui même d’une forme réglementaire à une forme numérique et surtout algorithmique. Une réglementation peut être sujet à appréciation, devant un juge ou un arbitre, contrairement à un programme informatique qui n’applique qu’une séquence d’instructions et d’opérations. Et ces dernières ne sont jamais exempts de bugs informatiques et de problèmes de sécurité.
Dans le cadre de la création d’un nouvelle monnaie, il n’est pas surprenant que la commission européenne souhaite utiliser des contrats intelligents, et ce pour deux raisons:
La première est qu’il ne laisse aucune interprétation, et surtout aucune remise en question d’un contrat financier. En clair, ce dernier est gravé dans le marbre et se trouve être donc l’outil idéal pour sécuriser une transaction quel qu’elle soit mais aussi pour imposer une réglementation. Une fois que vous signez un contrat intelligent, il n’y a aucune possibilité de s’en défaire si ce n’est aller au bout du déclenchement, à savoir les directives prévues par le créateur du contrat.
La seconde est qu’il s’agit d’une réelle innovation dont ont bien besoin les architectes de l’euro numérique. En réalité, celui-ci n’offre aucune révolution en matière de paiement électronique et à moins d’être imposé par voix législative, les chances qu’il soit réellement utilisé pour le paiement de détail sont très minces tant la concurrence est déjà dense. Entre les incontournables SEPA, Visa, Mastercard, Paypal, Paylib, et aussi l’offre pléthorique des néo-banques, se faire une place parmi ces géants est quasiment mission impossible. On le voit d’ailleurs déjà avec le projet de Yen numérique qui est pour le moment abandonné par la banque centrale du Japon,faute d’intérêt du public.
Viennent aussi deux autres obstacles de taille: en dépit des efforts de la commission européenne, l’euro numérique sera certainement confondu avec ces cousines, les cryptomonnaies qui demeure un concept incompréhensible pour le quidam moyen qui veut juste payer son pain. L’autre est la méfiance toujours plus grande envers les grandes institutions, déconnectées, avides de réglementations parfois discutables et de contrôles toujours plus intrusifs. Il n’est pas certain que confier son argent à un tel organisme soit accepté si facilement.
Ce n’est sans doute pas les contrats intelligents alias les paiements conditionnels qui sauveront le projet d’euro numérique.